🧧 Boxe Office

Cette semaine : on taille un costard aux polars chinois et aux fresques historiques télougous.

🧧 Boxe Office

C'est vieux comme le monde : le film de boxe n'a jamais vraiment été un simple film de boxe. Du drame social à l'ego trip en passant par le conte initiatique et la lutte des classes, le sous-genre véhicule un imaginaire protéiforme capable de s'adapter à presque n'importe quel récit. Cette semaine au cinéma, le réalisateur chinois Qiu Sheng tente de mêler deuil du père et boxe en réalité virtuelle.


🗓️ PLANNING CLAIR POUR SALLES OBSCURES

Votre rubrique dédiée aux sorties de la semaine (la semaine qui arrive, mercredi qui vient là, ce mercredi, dans un cinéma près de chez vous !)

Mohamed AI - My Father's Son de Qiu Sheng vient tout juste de faire sa première au Festival de Shanghai qu'il arrive déjà dans nos salles et les signes ne trompent pas : il s'agit bien sûr d'une coproduction franco-chinoise. Dans son nouveau film, le réalisateur de Suburban Birds raconte l'histoire de Qiao, un ingénieur dont le père disparu dix ans plus tôt lui a laissé une passion pour la boxe. Alors qu'il développe un nouveau programme pour aider les gens dans leur apprentissage du sport de combat, il modélise un boxeur numérique à partir des traits de son père. Peu à peu, il se retrouve hanté par ce fantôme en réalité virtuelle. Comme le cinéaste semble fasciné par les nouvelles technologies, c'est en toute logique qu'il situe l'action de son récit à Hangzhou, ancienne capitale chinoise devenue véritable bastion d'une industrie numérique multimilliardaire : un concept audacieux entre tradition et modernité qui nous est proposé par le distributeur New Story.

🇳🇵 Nepal Weapon - Au Népal, les flics se font appeler Monsieur : sacrée tagline signée ARP Sélection pour Pooja, Sir de Deepak Rauniyar, un film policier dont le tournage compliqué s'est soldé par une censure sans concession des autorités népalaises. Pooja, une flic de Katmandou, est missionnée à la frontière indienne pour enquêter sur une affaire d'enlèvement d'enfants. À peine arrivée sur place, elle va rapidement devoir faire appel à Mamata, une consœur locale, pour la guider et lui prêter main forte. Dans la lignée de l'excellent Santosh de Sandhya Suri, le film évoque les violences policières, la misogynie de l'institution, mais aussi et surtout le racisme dont sont victimes les madhesis, un groupe ethnique du Sud du Népal.


🔮 VISION DE L'AVENIR

Je vois... une avant-première dans une salle de cinéma près de chez vous... et des annonces de sorties lointaines, très lointaines...

You should've never trusted Tollywood - Entre deux campagnes électorales, Pawan Kalyan trouve encore le temps de faire du cinéma. Après de multiples reports, un changement de réalisateur à mi-parcours et une pandémie dont vous avez peut-être entendu parler, le premier chapitre de Hari Hara Veera Mallu arrive enfin en salle et s'offre quelques avant-premières françaises assurée par Friday Entertainment. C'est l'histoire fictive d'un révolutionnaire indien qui se rebelle contre l'empire moghol après des siècles de règne sans partage. On parle donc d'un héros de la nation qui se bat pour la liberté de son peuple et se révolte contre une élite musulmane sans pitié. Compte tenu de l'influence considérable exercée par le comédien qui incarne le protagoniste mais aussi du contexte politique actuel en Inde, il est probable que le film n'arrange en rien les discriminations dont sont victimes les musulman·es du pays. Gardez peut-être ça en tête avant de prendre l'aspect historique du film pour argent comptant. Ce ne serait après tout pas le premier film télougou à s'arranger avec l'histoire... ⬇️

Arrrlésienne - C'est officiel ! Après une sortie en catimini suivie d'un bouche à oreille phénoménal en 2022, un passage remarqué aux Oscars et de faux espoirs de séances supplémentaires en 2023, une projection exceptionnelle au Forum des Images le soir de la victoire* du NFP en 2024, et l'arrivée tardive d'une version doublée en hindi sur Netflix en 2025, RRR de S. S. Rajamouli sera finalement de retour dans nos salles en 2026 sous la bannière de Carlotta Films. Plus qu'à espérer une sortie en Blu-ray l'année suivante pour conclure cette longue aventure pleine de rebondissements : une distribution à l'image du film.

*Si vous venez de vous réveiller d'un long coma : on ne dirait pas comme ça mais la gauche est arrivée en tête des dernières élections législatives.


🏆 L'APPLAUDIMÈTRE

Toute l'actu des festivals de cinéma, petits et grands, avec un minutage extrêmement précis des standing ovations (non)

Mostra Sacra - Le Festival de Venise a annoncé ce vendredi la composition du jury de sa 82ème édition, qui se tiendra du 27 août au 6 septembre 2025. Sous la présidence du cinéaste américain Alexander Payne*, les membres du jury auront la lourde tâche d'attribuer le Lion d'Or et les nombreuses autres récompenses aux films en compétition. Parmi elleux : Stéphane Brizé, Maura Delpero, Cristian Mungiu, Fernanda Torres, mais aussi et surtout Mohammad Rasoulof, réalisateur iranien de l'excellent film Les Graines du figuier sauvage, et enfin un ange descendu sur Terre, l'actrice chinoise Zhao Tao connue pour ses rôles dans les films de son époux Jia Zhang-ke. J'en profite pour vous recommander à nouveau Platform, l'un des meilleurs films chinois du tournant du siècle.

*Rappelons qu'Alexander Payne a été accusé de viol par l'actrice Rose McGowan en 2020.

Morceaux choisis - Japan Cuts, l'un des plus importants festivals de cinéma japonais aux États-Unis, touche à sa fin. Parmi la trentaine d’œuvres présentées lors de cette édition 2025, on peut notamment citer She Taught Me Serendipity, le nouveau film de la réalisatrice Akiko Ohku à qui l'on devait déjà entre autres l'excellent Tempura. Pour découvrir les films les plus intéressants de la sélection, dont beaucoup sont l’œuvre de femmes cinéastes, je vous invite à lire le compte rendu (en anglais) de Sean Gilman sur son site The Chinese Cinema.


📺 WE HAVE FILM AT HOME

C'est ici que vous retrouverez l'actualité des sorties sur les plateformes de VOD et SVOD mais aussi les éditions physiques de vos films préférés, parce que tout le monde ne peut pas aller au cinéma !

This Ran me 50 bucks - On ne présente plus Ran, l'immense fresque historique du légendaire cinéaste Akira Kurosawa qui a permis à la costumière Emi Wada* de remporter un Oscar amplement mérité en 1986. C'est dans un nouvel écrin on ne peut plus luxueux paré de superbes illustrations de Sterling Hundley que le film revient aujourd'hui en Blu-ray 4K. Ce nouveau coffret édité chez Studio Canal propose notamment un livret de 100 pages, un CD de la bande originale, un documentaire sur le tournage du film par Chris Marker, des affiches et des entretiens avec l'équipe du film, entre autres précieux suppléments. C'est disponible dès demain chez certains détaillants, et mercredi partout ailleurs.

*Je place mes articles quand je le peux parce que j'ai mis du temps à les écrire et que j'en suis fière, vous allez faire quoi rien (à part les lire, j'espère !)

Satire à balles réelles - Autre sortie majeure dans les bacs cette semaine : Mickey 17 de Bong Joon-ho vient tout juste de débarquer en DVD, Blu-ray et 4K UHD. Dans un futur pas si lointain, l'humanité a colonisé l'espace lointain au sang et à la sueur de braves milliard- de clones prolétaires corvéables à merci. Si c'est loin d'être le film le plus réussi de son auteur, il permet toutefois à Robert Pattinson d'évoluer dans un vaste terrain de jeu à la mesure de ses capacités d'acteur et propose une satire amusante des États-Unis post Trumpum.

Netflix and chills - C'est la sortie Netflix de la semaine. C'est rarement gage de qualité, a fortiori ces dernières années, mais comme l'actualité se calme un peu en cette période estivale, prenons le temps de découvrir A Normal Woman de Lucky Kuswandi. Dans ce thriller psychologique, une étrange maladie vient bouleverser le quotidien d'une jeune indonésienne de bonne famille. Entre hallucinations et symptômes physiques, elle va devoir comprendre rapidement ce qui lui arrive sous peine de se perdre elle-même. C'est cryptique mais après tout c'est plutôt inhérent au genre. Ce sera donc disponible à compter du 24 juillet sur la plateforme susmentionnée.


📣 DAZIBAO

C'est la partie politisée de la newsletter, celle où votre humble servante donne son avis sur tout ce qui gravite autour du cinéma d'Asie : un billet d'humeur, à défaut d'un billet de banque.

À bout de souffle - C'était la promesse de salut d'un cinéma chinois qui peinait alors à s'exporter. Avec le triomphe de Black Coal de Diao Yinan à la Berlinale de 2014, le public occidental découvrait le néo-noir chinois. Ce polar sombre, violent et sulfureux faisait mine de se jouer du Bureau du cinéma et semblait presque à l'abri des censeurs dans sa lointaine Mandchourie. Faussement subversif, le sale gosse du cinéma continental compensait l'absence de commentaire social par une photographie léchée et un contenu licencieux. C'était plutôt malin dans un cadre de production chinois complètement verrouillé par la censure étatique, mais on se demanderait presque dix ans plus tard comment les cinéphiles se sont laissé·es berner par une nouvelle vague de polars génériques qui s'apprêtait à déferler dans les salles de cinéma du monde entier.

Et pour cause : quatre ans plus tard, Diao Yinan était de retour en compétition officielle au Festival de Cannes avec Le Lac aux oies sauvages. Là encore, la photo était impeccable et la violence était de mise. Coiffé au poteau par l'excellent Parasite de Bong Joon-ho, le film a raté la Palme d'Or mais s'est imposé comme un nouveau standard du polar chinois, avec des codes et une esthétique qui lui sont propres. Depuis lors, de nombreux rejetons de cette nouvelle mode ont vu le jour. Une Pluie sans fin de Dong Yue, Only the river flows de Wei Shujun, Are you lonesome tonight? de Wen Shipei, ou encore Des feux dans la plaine de Zhang Ji : la liste est longue et ces quelques exemples ne forment que la partie émergée de l'iceberg qui arrive jusqu'à nous à la faveur d'une distribution charitable.

On applique ad nauseam une formule qui fonctionne dans les salles obscures de Chine continentale : on filme les friches urbaines du Nord, là où une violence esthétisée à outrance peut s'exercer sans crainte de censure. Ces provinces abandonnées sont autant de théâtres de crimes, au premier chef sur le corps de femmes souvent réduites à des rôles de victimes impuissantes. Que l'on martyrise Kwai Lun-mei, Jiang Yiyan ou Zhou Dongyu importe peu, pourvu que les pulsions d'un public largement masculin soient assouvies. C'est l'aboutissement d'un processus de création né du recyclage du cinéma hongkongais d'avant la rétrocession et de l'influence du film d'action sud-coréen* devenu extrêmement populaire après les premiers succès de Kim Jee-woon et consorts. On obtient des films ni bons ni mauvais, dont on ne se souvient guère que pour leur plastique.

Pas punk pour un sou, le néo-noir chinois étouffe déjà à peine est-il arrivé sur le devant de la scène. On régurgite la misogynie latente d'auteurs plus talentueux d'une époque révolue tout en se gardant bien de commenter le contexte social et économique de régions chinoises qui ont pourtant beaucoup à raconter. Des cinéastes comme Jia Zhang-ke proposent toutefois un contrepoint intéressant au genre avec A Touch of Sin et Les Éternels, deux films sortis peu de temps avant ceux de Diao Yinan cités plus haut. Ses œuvres voient plus grand que leurs lointains cousins policiers et utilisent leur environnement pour placer les mutations et les inégalités de la Chine au cœur du récit. Bi Gan lui-même intègre cette esthétique si particulière dans son chef-d’œuvre Un long voyage vers la nuit et en fait une fable onirique dont Wei Shujun s'inspirera par ailleurs quelques années plus tard pour Only the river flows.

Triste constat que cet ouroboros artistique : à Hong Kong, l'industrie du cinéma d'action, phagocytée par l'ogre chinois, n'a guère mieux à offrir en dehors des rares héritiers de l'Âge d'Or comme Soi Cheang**. On s'enthousiasme mollement pour des polars sombres et matures comme The Shadow's Edge ou Sons of the Neon Night, dont la médiocrité transparaît avant même leur sortie en salle. De l'autre côté du détroit, des films comme Gangs of Taïwan de KEFF parviennent toutefois à mélanger intelligemment film noir et drame social : on pourrait presque croire que l'absence de censure chez le voisin taïwanais encourage la créativité.

Ironie du sort pour la productrice Vivian Qu : après avoir contribué à poser les bases du carcan sexiste de ce nouveau polar chinois avec les œuvres de Diao Yinan, elle porte aujourd'hui un cinéma féministe passionnant et réalise des films comme Les Anges portent du blanc. Camarades, il serait peut-être temps de passer à autre chose, car les femmes chinoises n'ont pas attendu que les hommes lâchent leur caméra pour s'en emparer.

*Je parle ici du cinéma d'action sud-coréen grand-public, celui-là même qui recycle beaucoup ses lettres de noblesse et parviendrait presque à tourner encore plus en rond que le néo-noir chinois tant il est formaté.

**Certes, la personne qui a écrit ces lignes adore Limbo de Soi Cheang mais que voulez-vous ? La vie est faite de paradoxes.


📰 L'EXPRESS DE CHUNGKING

Vous êtes arrivé·e à la fin de la newsletter : bravo ! Si vous êtes toujours là, c'est que vous aimez lire. Je profite donc de cet ultime espace de parole pour vous conseiller un livre ou un article que j'ai trouvé intéressant cette semaine.

You - have - stolen my heart - oh yeah - Si vous avez réussi à passer outre le phénomène KPop Demon Hunters, c'est probablement parce que vous n'êtes pas abonné·e à Netflix. Si par miracle vous avez accès à la plateforme mais que vous êtes passé·e entre les gouttes, cette critique enthousiaste parue en début de mois sur dear. korea devrait vous convaincre de donner une chance au film d'animation.


Merci de m'avoir lue jusqu'au bout ! J'espère que 🧧 HONGBAO vous plaît. N'hésitez pas à m'interpeler sur Bluesky ou à passer une tête sur le Discord si vous avez des questions ou des suggestions. Excellente fin de journée et bon courage pour la semaine qui vient.