🧧 Métro, boulot, projo
C'est la rentrée : aller au cinéma pourrait être un travail à temps plein, mais pour le moment on va se contenter de jouer à Tetris avec nos séances.

Exit la plage, la limonade beaucoup trop chère des cafés parisiens, le tant redouté chassé-croisé des juillettistes et des aoûtiens, les promenades nocturnes par trente degrés : c'est la rentrée. Il est temps de retrouver nos fauteuils rouges et nos salles obscures. Pour votre humble servante, c'est aussi une épreuve par le feu. Vais-je réussir à garder un rythme de publication hebdomadaire avec une charge de travail soutenue et le retour des enregistrements de HKast et DIS-COR-DIA ? C'est une question pour la WongKarWaifu du futur ! En attendant, nous avons du pain sur la planche avec quatre sorties en salle, un festival, quatre éditions vidéo et un petit article sur une publicité qui commence à me prendre la tête au cinéma. C'est par où, déjà, la sortie de ce paragraphe introductif ? Ah, j'ai trouvé, suivez moi !
🗓️ PLANNING CLAIR POUR SALLES OBSCURES
Votre rubrique dédiée aux sorties de la semaine (la semaine qui arrive, mercredi qui vient là, ce mercredi, dans un cinéma près de chez vous !)

Par ici la sortie - Voilà de nombreuses années que les espaces liminaux stimulent l'imagination des internautes du monde entier. Étroitement liés à la culture web depuis leur essor au début des années 2000, les studios indépendants de développement de jeux vidéo l'ont bien compris. C'est ainsi qu'est né Exit 8, un simulateur de marche mâtiné d'horreur psychologique vendu à plus d'un million d'exemplaires depuis sa sortie en fin d'année 2023. Dans ce jeu, un·e protagoniste anonyme tente de s'échapper d'un couloir de métro sans fin et est témoins de phénomènes étranges au fil de sa progression. À chacune de ces anomalies, il faut faire demi-tour immédiatement sous peine de perdre sa progression. C'est un concept pour le moins particulier dont le succès commercial a conduit à une adaptation au cinéma par Genki Kawamura (N'oublie pas les fleurs) avec Kazunari Ninomiya (La Famille Asada) dans le rôle du pauvre hère en quête de la fameuse sortie n°8. Si vous vous demandez à quoi peut bien ressembler un tel film, je vous invite à écouter Daniel Andreyev en parler suite à son avant-première cannoise.

Ici nous resterons - Alors que le génocide se poursuit à Gaza, Nour Films nous propose cette semaine Chroniques d'Haïfa de Scandar Copti, un film qui multiplie les points de vue et nous donne un aperçu de la vie quotidienne des palestinien·nes dans une ville israélienne. Grâce à une approche quasi documentaire et à l'emploi de comédien·nes amateur·ices, le cinéaste révèle les oppressions plus ou moins discrètes que vivent ses personnages. Une avant-première avec le réalisateur aura lieu demain (le 01/09) au mk2 Beaubourg à Paris.

Silence, on tourne (en rond) - Il avait des choses à dire, ohlala il débite. C'est probablement ce que se disent régulièrement les fans de cinéma japonais à propos du cinéaste Kiyoshi Kurosawa. Non content d'avoir squatté nos écrans dès le début de l'été avec Cloud et Chime, l'homme s'est fendu d'une conférence au Max Linder et vient de débarquer sur le service public avec Le Secret de la chambre noire. Et comme si ça ne suffisait pas, voilà qu'il réalise un remake de son propre film sorti en 1998, Serpent's Path. Comme il semble avoir apprécié son premier tournage en France, il remet cette année le couvert avec Mathieu Amalric mais aussi et surtout avec Damien Bonnard (Les Misérables) dans le premier rôle masculin de ce film sobrement intitulé La Voie du Serpent. Au programme : un homme et une femme remontent la piste d'une dangereuse organisation après la disparition d'une jeune fille.
🏆 L'APPLAUDIMÈTRE
Toute l'actu des festivals de cinéma, petits et grands, avec un minutage extrêmement précis des standing ovations (non)

Coup de théâtre - Initialement prévu pour janvier 2026, Le Maître du Kabuki de Lee Sang-il sortira finalement au cinéma le 24 décembre prochain : probablement le plus beau des cadeaux de Noël pour les cinéphiles que vous êtes. Le film suit un fils de yakuza devenu onnagata. Recueilli par un maître de kabuki, il va entretenir une rivalité avec son frère adoptif pendant cinquante ans : l'un est consumé par son art, l'autre écrasé par le poids d'un héritage qu'il ne peut assumer seul. C'est un chef-d'œuvre sublime d'ores et déjà sérieux candidat au titre de film de l'année. Black Dog de Guan Hu a du souci à se faire... Comme de juste, l'association des producteurs de cinéma du Japon a sélectionné le film pour représenter le pays à la prochaine cérémonie des Oscars. Reste à savoir si l'Academy retiendra cet héritier spirituel d'Adieu ma concubine de Chen Kaige parmi les cinq candidats à l'Oscar du meilleur film international : affaire à suivre !

Festives Halles - Je vous en parlais la semaine dernière (et le mois précédent, de mémoire) : l'Étrange Festival débute mardi au Forum des Images (Paris) avec une première française de The Forbidden City de Gabriele Mainetti. Ce film d'action italien met en scène une jeune femme chinoise à la recherche de sa sœur dans les rues de Rome. Au fil de ses pérégrinations, elle va se lier d'amitié avec un jeune homme du coin dont le père a lui aussi disparu. Ensemble, ils vont devoir affronter la mafia pour retrouver les membres de leurs familles. Si vous voulez en savoir plus avant de prendre votre billet, les camarades de Cinématraque ont publié une petite critique du film suite au festival Fantasia au début du mois d'août.
🙇♀️ PIÉTÉ FILIALE
C'est la rubrique consacrée aux rétrospectives, aux cycles thématiques et aux classiques en tous genres : le cinéma de patrimoine, si vous préférez.

La rançon du succès - Moins connu que Ran, Les Sept Samouraïs et Rashomon, Entre le ciel et l'enfer n'en demeure pas moins une œuvre majeure de l'illustre Akira Kurosawa. Dans ce film noir, le célèbre acteur Toshiro Mifune rempile dans le rôle de Kingo Gondo, un riche industriel dont le fils a été enlevé. Alors que les ravisseurs exigent une rançon considérable, Gondo se rend compte qu'il y a erreur sur la personne. En effet, ce n'est pas son fils qui a été enlevé, mais celui de son chauffeur ! Dieu soit loué, Gondo va pouvoir garder son précieux argent pour investir dans sa société ! Et en même temps... ne devrait-il pas utiliser sa richesse pour aider le fils de son employé ? Tel est le dilemme qui agite ce grand bourgeois dans ce non moins grand film, de retour au cinéma dans une version restaurée.
📺 WE HAVE FILM AT HOME
C'est ici que vous retrouverez l'actualité des sorties sur les plateformes de VOD et SVOD mais aussi les éditions physiques de vos films préférés, parce que tout le monde ne peut pas aller au cinéma !

Ça dit Kwan, les filles ? - Après un rapide passage par la case cinéma, Women de Stanley Kwan s'apprête à sortir en Blu-ray chez Carlotta Films. Il s'agit du tout premier film du cinéaste hongkongais, déjà très en avance sur son temps aussi bien en matière de rôles féminins que de représentation homosexuelle. Dans cette comédie de remariage qui se joue des poncifs du genre, Chow Yun-fat trompe sa femme Cora Miao (formidable, comme d'habitude) avec une jeune Cherie Chung. Quand elle l'apprend, l'épouse bafouée se tourne vers son cercle d'amies en quête de sororité et de réconfort. On retrouve également Eric Tsang et Elaine Jin dans des rôles secondaires, ainsi que Bill Wong (Rouge, Nomad) à la photo.

Hanbok to the Future - Si vous êtes parvenu·e à suivre les sorties françaises du diptyque Alienoid de Choi Dong-hoon : bravo, ce n'était pas une mince affaire. Si le premier volet n'avait été projeté que sur deux jours au cinéma avant de finir au fin fond des catalogues VOD, le second avait tout de même pu profiter d'une sortie en bonne et due forme. Après de multiples éditions vidéo du premier puis du second film et enfin des deux ensemble, le coffret ultime montre finalement le bout de son nez : le diptyque dans son intégralité en 4K pour la modique somme de 25 euros. Voilà qui valait le coup de patienter ! Pour mémoire, Alienoid est un blockbuster de science-fiction qui mélange voyage dans le temps, épopée à grand spectacle et ruptures de ton dignes de la télévision sud-coréenne. C'est généreux, sans doute même un peu trop, mais c'est fort divertissant et c'est l'occasion de voir Kim Tae-ri avec un flingue.

Un coffret qui se mange froid - Une preuve de plus que la patience est une vertu : la célèbre trilogie de la vengeance de Park Chan-wook, qui regroupe donc Old Boy, Sympathy for Mr. Vengeance ainsi que l'excellent Lady Vengeance, sera disponible dès demain dans un petit coffret à 40 euros au lieu des 100 balles de l'édition limitée sortie l'an dernier. Notez qu'une nouvelle version 4K, qui reprend tous les suppléments de l'édition limitée, fait aussi son apparition pour 90 euros.

Sortie de Beyrouth - C'était l'un des films les plus attendus de l'édition 2023 du Festival du Film Coréen à Paris. Après Hard Day et Tunnel, Kim Seong-un revenait avec son nouveau long : Ransomed. Malgré quelques critiques assez favorables, le film a toutefois disparu des écrans français pendant de long mois avant d'arriver sur Canal+ au début de l'été. Il débarque cette semaine dans une édition vidéo à petit prix chez L'Atelier d'Images. Pour situer rapidement : Ransomed raconte l'histoire d'un diplomate sud-coréen (l’indéboulonnable Ha Jung-woo) envoyé au Liban pour libérer un confrère capturé deux ans plus tôt pendant la guerre civile.
📣 DAZIBAO
C'est la partie politisée de la newsletter, celle où votre humble servante donne son avis sur tout ce qui gravite autour du cinéma d'Asie : un billet d'humeur, à défaut d'un billet de banque.

Arts de la secte - Si vous regardez la télévision, prenez le métro, lisez le journal ou allez au cinéma dans les salles du réseau UGC, vous avez sans doute déjà été confronté·e à une publicité pour le spectacle de danse Shen Yun. Depuis près de vingt ans, cette troupe d'artistes se produit dans le monde entier et rassemble des millions de spectateur·ices dont la plupart sont loin de se douter que leur billet finance en réalité l'une des plus puissantes sectes d'Asie : le Falun Gong.
Créé en Chine au début des années 1990, le Falun Gong (ou Falun Dafa), fédère des millions de fidèles, surtout en Asie où la secte a une influence politique et religieuse considérable, mais aussi en Europe et aux États-Unis. Depuis plus de vingt ans, ce mouvement profondément xénophobe, homophobe, anti-science, et anti-médecine est en conflit avec le Parti communiste chinois qui voit d'un très mauvais œil son influence grandissante. À plusieurs reprises, les associations comme Amnesty International ont dénoncé (en anglais) la répression violente et les actes de torture dont sont victimes les membres chinois·es du Falun Gong. Si la secte brandit cette répression comme un blanc-seing pour faire taire les critiques dans le reste du monde, elle n'en demeure pas moins dangereuse.
Outre-Atlantique, le Falun Gong et son spectacle sont dans le collimateur de la justice américaine suite à des accusations de travail forcé, d'exploitation des enfants, de traite d'êtres humains, et bien d'autres horreurs. Shen Yun se targue par ailleurs d'être un spectacle historique : c'est évidemment un mensonge, et la secte profite des représentations pour diffuser ses messages politiques et religieux, à la manière de Pierre-Edouard Stérin, Vincent Bolloré et Philippe de Villiers.
En France, le mouvement a pris de l'ampleur au début de la pandémie de Covid-19, notamment grâce à son journal : The Epoch Times. Ce média disponible en vingt langues est très actif sur les réseaux sociaux, notamment YouTube, et rassemble des millions de lecteur·ices tous les mois. Très proche des sphères complotistes et de l'extrême droite, le journal relaie une quantité astronomique de désinformation et a soutenu Donald Trump lors de sa campagne présidentielle. Voyez plutôt.

Alors, que fait la police* ? Pas grand-chose, malheureusement. En France, la lutte contre les sectes a pris du plomb dans l'aile depuis plusieurs années. En effet, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, ou Miviludes, a été reléguée au second plan et ses résultats trahissent un manque de moyens inquiétant. On parle d'une dizaine de salarié·es pour protéger l'ensemble du territoire de sectes avec des moyens colossaux, à l'image des Témoins de Jéhovah qui ont récemment obtenu gain de cause face à l'organisme.
C'est un combat perdu d'avance qui oppose la Miviludes à Shen Yun et au Falun Gong. Comment lutter quand l'adversaire dispose de moyens autrement plus importants et du soutien médiatique de nombreux titres de presses ? Sans compter que la secte a pignon sur rue : il suffit de se promener dans les endroits fréquentés de Paris comme le Forum des Halles pour croiser des recruteur·euses du Falun Dafa avec des dépliants et des banderoles. Le quotidien de référence Le Monde a lui aussi diffusé une publicité pour Shen Yun sur sa Une, alors que ses journalistes ont dénoncé le mouvement plusieurs fois dans ses colonnes.
Face à un tel phénomène, on pourrait au moins espérer que les acteur·ices du monde culturel ne se laissent pas phagocyter par cette organisation dangereuse dont l'influence est de plus en plus inquiétante aussi bien au sein de la diaspora chinoise qu'en dehors. Peut-être que si nous sommes assez nombreux·es à demander au groupe UGC d'arrêter de diffuser des publicités pour Shen Yun, alors retrouverons-nous la quiétude éphémère de nos chères salles obscures ?
Voici leur formulaire de contact ; ça ne coûte rien d'essayer.
*ACAB nonobstant.
Vous voilà arrivé·e à la fin de 🧧 HONGBAO, du moins pour cette semaine ! On se retrouve dimanche prochain avec un peu moins de sorties mais toujours autant de cinéma. En attendant, courage pour la reprise et passez une excellente semaine.